Victor, originaire de Dijon, a découvert le handball à l’âge de 10 ans. A ce moment-là, il n’imaginait pas qu’une carrière de 10 ans en tant que joueur pro allait marquer le début de sa vie professionnelle.

« J’ai commencé le hand parce qu’on y jouait dans la cour de mon école primaire . Ca m’a bien plu donc j’ai rapidement intégré le club du coin. De super souvenirs, j’ai joué longtemps avec la même bande de copains, dont certains que je vois encore. Comme j’étais plutôt doué, j’ai commencé à être remarqué et tout s’est fait sans trop d’hésitation : sport-études, centre de formation, sélections nationales. Tu te retrouves propulsé là-dedans, tu réussis, on te demande si tu veux aller plus loin, naturellement tu dis oui : aller le plus loin possible devient ton objectif, d’autant plus quand il est partagé par tous les jeunes avec qui tu passes le plus clair de ton temps. Finalement, je me suis retrouvé joueur pro assez jeune à 19 ans et c’est plutôt agréable sur le moment : tu gagnes de l’argent alors que les gens de ton âge n’en gagnent pas, tu joues au meilleur niveau français, tu fais partie des meilleurs joueurs de ta génération, et tout le monde te répète que tu es promis à un avenir radieux.»

Arrivé au centre de formation du club de Sélestat à 17 ans, Victor a signé son premier contrat pro à 19 ans. Après 5 années de contrat à Sélestat, il est recruté par Créteil, club de 1ère division ambitieux, situé en région parisienne.  Pourtant là, rien ne se passe comme prévu : blessure, saison personnelle tronquée, lutte pour le maintien et finalement relégation sportive en 2ème division. Malgré les bonnes relations qu’il entretient avec les joueurs au sein de l’équipe, Victor ne s’y retrouve plus. Désireux de prendre un peu de recul vis-à-vis du handball professionnel, il réfléchit à travailler à côté tout en continuant à jouer au handball. Il a encore un an de contrat avec Créteil, qui lui propose alors de faire quelques heures par semaine dans les services environnementaux de la municipalité, à coté des entrainements, mais il décline. 

« A Sélestat, en parallèle du handball, j’avais réussi à décrocher une licence en environnement. Avec l’aide de mon père et de mon agent, j’ai sollicité des clubs évoluant à bon niveau pour savoir si ils étaient intéressés par ma situation : je voulais travailler à temps partiel dans le domaine de l’environnement et continuer à jouer à bon niveau. J’avais 25 ans. J’ai finalement atterri à Mulhouse. L’équipe évoluait en deuxième division, la Proligue d’aujourd’hui. Ils m’ont proposé un boulot dans l’agence de production graphique du président du club. Bon, j’étais censé avoir des missions en rapport avec l’environnement mais je me suis vite retrouvé à faire de la prospection téléphonique pour ramener de nouveaux clients. C’était pas vraiment mon truc ! Mais ça a été formateur et au fur et à mesure mes missions ont évolué. Je faisais de la gestion des équipes de production, de la relation clients, et pas mal d’autres choses intéressantes.»

Ainsi pendant un peu plus de trois ans, Victor va cumuler un contrat à mi-temps en temps que joueur professionnel au club de Mulhouse et un contrat à temps partiel dans cette agence. Si au cours des deux premières années Victor y trouve son compte, emmagasine de l’expérience, acquiert des compétences, la situation va devenir plus compliquée la troisième année.

« Je me donnais beaucoup à l’agence. Aujourd’hui, je sais que je gérais très mal mon stress. Bosser dans le monde de l’impression pour des enseignes de grande distri, ça n’est pas de tout repos, il faut être blindé. Côté handball, ça avait été génial les deux premières saisons, je n’avais jamais éprouvé autant de plaisir à jouer pendant ma carrière professionnelle de handballeur,on était une belle bande de pote, mais ça a été plus compliqué par la suite. L’ambiance était différente, le nouvel objectif d’accéder à la première division pesait, les échecs répétés en finale aussi. A un moment, j’ai craqué physiquement : on m’a diagnostiqué un burn-out. Ça a été la période la plus difficile de ma vie : j’ai d’abord arrêté le boulot, puis le handball, mon corps ne suivait plus. J’ai dû prendre des médicaments, voir un psy. J’étais détruit, je ne savais plus qui j’étais, ni à quoi je servais. Au fond, c’est logique puisque pendant toute ma carrière, je me résumais avant tout par mon statut de handballeur professionnel. J’ai donc du prendre le temps de me reconstruire.»

Après de longues semaines de repos forcé chez ses parents, Victor décide de changer d’air et monte à Paris. Son oncle et son cousin se proposent de l’accueillir au sein de leur agence web. C’est l’occasion pour Victor d’occuper ses journées et de découvrir un monde professionnel qu’il ne connaît pas.

«  Sortir de la bulle handball et être actif m’ont été très utiles. Il a d’abord fallu que je fasse des efforts. Je manquais un peu d’enthousiasme, d’autant plus que je prenais des médicaments. Puis petit à petit, j’ai retrouvé de la motivation. Je découvrais des choses nouvelles, je fréquentais des amis qui avaient arrêté le handball bien plus jeune et qui depuis avait progressé de manière impressionnante dans d’autres domaines. Je me suis rendu compte que tout pouvait ne pas tourner autour du handball. C’est comme si on m’avait enlevé des oeillères que je portais depuis que j’étais devenu handballeur professionnel. Du coup, j’ai commencé à me re-projeter un peu vers l’avant. Comme j’avais finalement bien appris en compagnie de mon cousin, je me suis mis en tête de chercher une formation continue dans le web. Un an après, j’obtenais mon diplôme de chef de projet digital. Du coup, j’ai du chercher du boulot et je me suis rendu compte que je n’en avais jamais vraiment cherché. Quand t’es handballeur pro, généralement on vient te chercher. Et étant donné que je suis d’un naturel plutôt introverti, j’ai vraiment dû me faire violence. »

Il candidate d’abord auprès de structures environnementales et sociales dont il partage les valeurs mais les offres sont rares. Il postule aussi auprès d’agences de communication digitale parisiennes, souvent sans trop de convictions, avoue-t-il, et finit par tomber sur une offre d’assistant communication et évènementiel proposée par la Ligue Nationale de Handball (LNH).

« Je ne sais pas vraiment pourquoi je suis allé jeter un œil sur le site de la Ligue. Je me disais peut-être que ce serait plus facile pour moi de débarquer dans un monde que je connaissais plutôt que l’inverse et qu’il y avait moins de stress que dans des agences de com. Le poste ne correspondait pas exactement à ma formation mais il y avait des choses qui m’intéressaient, notamment le côté digital et les réseaux sociaux. Pour l’anecdote, je suis passé à la Ligue quelques jours après avoir postuler. Je voulais appuyer ma candidature, montrer ma motivation, essayer de sortir du lot. Et là on m’a dit : “OK, on a reçu 600 CV on vous recontactera”. Je suis parti sans même dire qui j’étais en pensant que c’était mort et que j’avais aucune chance. »

Finalement après avoir passé avec succès les différentes étapes, Victor décroche le poste fait ses premiers pas à la LNH.

« J’avais déjà travaillé, mais à l’époque j’avais un filet de sécurité. Dans mon dernier job, si ça s’était mal passé, je savais que j’avais le hand à côté. Là, la situation était différente, je n’avais pas cette sécurité. Donc les premiers temps à la LNH ont été bien stressants. Je voulais réussir, je voulais apporter à l’équipe. Ce qui m’a aidé, c’est que j’ai trouvé une équipe soudée avec une bonne ambiance. Aujourd’hui je m’y sens bien, j’apprends pleins de choses, j’ai une vie bien plus équilibrée que quand j’étais handballeur pro et je prends du plaisir à bosser.»

Quand Victor revient sur « sa 1ère carrière », celle de joueur professionnel, il réalise avec du recul beaucoup de choses :

« Maintenant, quand j’essaye d’analyser un peu cette partie de ma vie, je me dis que je suis devenu pro parce que les autres voulaient être pro et que j’ai inconsciemment calqué mes envies sur les leurs. Peut-être parce que j’aimais tellement passer du temps au handball avec les copains que c’était une manière pour moi de faire en sorte que ça dure plus longtemps. Et comme j’étais plutôt doué, bien entouré, que j’avais des qualités et que j’ai rencontré les bonnes personnes, ça a marché, je suis devenu proAprès, quand tu es lancé dans le circuit, que ça fait quinze ans ou plus que tu persuades que tu veux ce truc, que tu l’as, c’est difficile de s’avouer consciemment qu’en fait, tu n’en as jamais voulu et que ça ne te convient pasEnfin, moi je n’y suis pas arrivé. Comment j’aurai pu ne pas aimer cette vie de sportif professionnel dont tout le monde rêve et pour laquelle j’avais fait pleins de sacrifices depuis tout jeune Du coup, c’est mon corps qui a dit stop, voyant que mon cerveau se voilait la face Mais je ne regrette rien. Mon parcours m’a amené là ou j’en suis aujourd’hui. Et je garde quand même de très bons souvenirs de ma carrière, et surtout de belles aventures humaines. Maintenant je me retrouve à bosser à la LNH et à promouvoir le handball pro. C’est un peu cocasse, je le reconnais. Se retrouver de ce côté-là de la barrière alors que j’ai cherché à fuir le handball professionnel en tant que joueur. Mais aujourd’hui j’ai appris à m’écouter et je pense faire quelque chose que j’aime et qui m’apporte. J‘en suis vraiment satisfait, je continue de me construire et j’en profite chaque jour. »